LEXPRESS.fr du 21/11/2007
Barbara 1930-1997
Rappelle-toi, Barbara
Gilles MédioniLe 24 novembre 1997, Barbara disparaissait. Dix ans après, L’Aigle noir, Perlimpinpin, Au bois de Saint-Amand courent de par les rues… Et une génération découvre ses chansons où se bousculaient passions, colères, regrets, pardons. L’Express avait suivi depuis ses débuts cet auteur-compositeur magnifique, l’unique dame de la chanson - aux côtés de Brel, Brassens, Ferré. [Article paru dans L'Express le 4/12/1997]
| DiaporamaCliquez sur l'image pour découvrir quelques clichés tirés de La Chanteuse et le photographe, de Marcel Imsand (Ed. Autrement), actuellement en librairie. Et, découvrez une version de Le Temps du Lilas, enregistrée pour l’émission Rendez-vous à 5 heures, le 4 avril 1962 pour la radio Chaîne Parisienne (Ed. INA-France musique). Demain, «c'est l'au revoir/ Je quitte vos rivages», prophétisait-elle régulièrement, devant un public toujours debout. Ajoutant: «Je vous remercie de vous.» La mort, «cette femme qui marche dans les rues», aimait sans doute Barbara à en mourir, lundi 24 novembre, avant la nuit. Avant qu'un baiser froid lui monte aux lèvres. «Une nuit de mon enfance/ Toute pareille à celle-ci/ Une longue nuit de silence.» Voici Barbara, au cœur de son théâtre intime, voici des souvenirs griffés, des passions imparfaites, des accents particuliers, des colères mémorables, un «je» infatigable. Barbara - figure si unique qu'elle en devient mystère - joue et déjoue les confessions clandestines. Son enfance, accrochée au square des Batignolles, puis volée par l'Occupation, forme probablement l'énigme d'une existence menée comme une fugue, de valises en hôtels, murant une déchirure tout juste suggérée dans ses chants de bataille. «Parmi tous les souvenirs/ Ceux de l'enfance sont les pires», concédait-elle. Se dessine en filigrane tout un ciel d'amours mortes, tailladé de noirs profonds - «La mort du jour dans les draps de l'ennui» (Seul, de Brel) - ou de détresses grises - «Comme épave perdue/ Je me cogne et me brise» (Seule, de Barbara). Barbara envoie, au bord du vertige, des missives bleues, écrites à l'encre des regrets, du faux, du vrai, qui dévoilent un mariage tôt brisé par une belle-mère méprisante: «Vous demandez pardon de n'avoir pas compris ce qu'était notre amour» (Lettre à Madame). Les mains nues, elle noue de lentes prières suspendues. Pourtant, si, le cœur meurtri, Barbara s'abandonne à la peine d'un père disparu «sans un adieu, sans un je t'aime» (Nantes), elle enferme le chagrin d'une mère perdue dans une ode libérée de mots (Musique pour une absente), composée telle «une traversée de Paris, un matin de novembre». Novembre, un mois de cendres, qui figurera le marque-page de son destin.
Elle fréquentait la mort, elle soupirait la vie, le jour qui vient, les moulins de Pantin, les complaintes des filles de joie, les rumeurs des bordels, Mac Orlan, Fragson, Moustaki, Brassens et Brel. La voilà ployée, énervée, mais jamais pliée sous le bronze des épithètes qui la sculptent, tulipe noire, oiseau de proie, louve solitaire, longue dame brune. «Je suis juste une femme qui chante», rectifie-t-elle sans cesse. Oui, mais une femme fatale qui brûle des cathédrales de chair, s'amarre à la bouche d'amants considérables, plante le plaisir au creux des reins, frivole des sens: «Moi, je m'balance/ Je m'offre à tous les vents sans réticence.» Barbara n'en finit pas de parcourir les blés en herbe: «Les plus belles amours sont les amours incestueuses.» Ombre et lumière, elle se veut femme parmi ses hommes, le seul remède à ses nuits: «J'en ai connu des grands, des beaux, des bien bâtis/ Des gentils qui venaient pour me bercer et combattre mes insomnies.» «Je crois en l'homme», affirmait-elle de Précy-sur-Marne, «Précy-jardin, Précy-merveille», au cours d'interviews rares où elle distillait, comme dirait Beckett, «des gouttes de silence à travers le silence». Lorsque Barbara s'offrait, elle donnait tout: son rocking-chair, son piano, ses lunettes, ses Thermos, ses tricots, ses grands oiseaux de neige, aussi, et parfois des larmes de pluie. «Aujourd'hui, tout semble dérisoire, indécent, y compris chanter, confiait-elle lors de son dernier spectacle au théâtre du Châtelet. Il y a comme un sanglot qui ne passe pas.» Pareille à ses guerriers de tranchées, Barbara ouvrait des fronts, scellait des alliances, formulait des espoirs. Au début des années 60, les enfants blonds de Göttingen jetaient un pont vers le pardon. Mille Chevaux d'écume se bat pour tous les prisonniers politiques, «fusillés pour crime d'insolence». Regarde célèbre François Mitterrand, une rose à la main, au lendemain de mai 1981. Les Enfants de novembre, tissés lors des manifestations d'étudiants de l'hiver 1986, adressent un hommage à Malik Oussekine, victime d'une bavure. Coline (un texte de Jacques Attali) stigmatise la drogue. Rêveuses de parloir visite les taulières, et Le Couloir s'incline devant les infirmières, «ces anges en sandales et en blouse blanche». Le sida était son combat. «Parce que toujours j'ai essayé de parler d'amour, il m'a paru évident de parler de cette maladie, qui, quelque part, est un grand mal d'amour.» Militante avant tous, elle crache Si d'amour à mort - «Si s'aimer d'amour/ C'est mourir d'aimer/ Sont mourus d'aimer/ Sida sidannés» - distribue des préservatifs à la sortie de ses messes-concerts. Fantôme discret, Barbara, la douceur des patients de l'hôpital Bichat, installe pour eux, à Précy, une ligne de téléphone privée, et leur fait les courses comme une petite mère, elle qui n'a jamais eu d'enfant. «Pas un, non, mais des milliers. Des milliers d'enfants aux milliers de bras ouverts.» |
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